Yann-Fañch Kemener : chant // Aldo Ripoche : violoncelle // Florence Rousseau : harmonium
« Christ serait-il né mille fois à Bethléem, s’il n’est pas né en toi, c’est ta perte à jamais » écrivait Angelus Silesisus, ce mystique allemand du XVIIe siècle. Qu’importerait en effet que le Verbe, la Parole de Dieu, se lie à notre monde, à notre histoire et même à notre chair, si cela devait rester une vérité générale, le souvenir d’un évènement passé, fut-il exceptionnel ? Qu’importerait que la Parole de Dieu naisse en Jésus si elle ne naissait en nous, pour nous faire renaître d’en haut ? C’est ce que donnait à entendre la magnifique antienne des Vêpres de Noël : Hodie Christus natus est (Aujourd’hui le Christ est né), hodie Salvator apparuit (aujourd’hui le Sauveur est apparu), hodie in terra canunt Angeli, laetantur Archangeli (aujourd’hui sur la terre chantent les Anges, se réjouissent les Archanges), hodie exsultant justi, dicentes (aujourd’hui, les justes dans l’allégresse répètent) : Gloria in excelsis Deo, alleluja. (Gloire à Dieu au plus haut des cieux).
N’est-ce pas ce que chante chacun des cantiques que nous propose ici Yann-Fañch : « Galùet omp bet get bouéh en Ael, Chetu ni étaloh tolpet » (Jézus krouédur). Hodie, aujourd’hui, car c’est aujourd’hui que cette naissance advient, en tout lieu, en toute langue et en toute culture. Il n’est pas étonnant que les chrétiens aient cherché à décrire cette naissance comme un évènement proche et familier. La date même de la fête de Noël est le résultat d’une adaptation à une culture : on célébrait Rome, le 25 décembre, pour le solstice d’hiver, la naissance de Mithra, la divinité perse de la lumière, le soleil invaincu (Dies natalis solis invicti) : Ce symbolisme du soleil est d’ailleurs repris dans la tradition chrétienne, et nous en avons ici un exemple : « Keit a ‘oe an holl i repoz, zaves an heol da hanter noz. Jezus a zo an heol sklear Da beb unan war an douar. »
Outre cette inscription dans le quotidien, deux thèmes reviennent à l’écoute de ces cantiques : l’insistance sur le dénuement de cette naissance, et le refus d’accueillir celui qui vient. Le dénuement : « Mes pelec’h e fell deoc’h-c’hwi e kavfemp hon Roue ? En ur palez alaouret pe ur c’hastell nevez ? E Bethleem a glevan e tle bezañ ganet, en ur gerig ken dister na n’eus palez ebet ! ». « Éno é wéléet er Mestr a holl er bed, ‘Àr un dornadig plouz, én un of astennet. Eañ e za de vout paour aveit ho pinùikat ». Le refus d’accueillir le pauvre : « Kaer hé des mont ha mont dré gêr, Hani ne venn hé dégemér : Eit lakat ér bed er Messi, Ne gav ‘meit ur hoh marchosi. » Thème qui prend parfois un ton plus politique, où l’actualisation (du XIXe siècle !) reprend ses droits : « Hiniù eùé, Krouédur ténér, é pep léh en ho forbanér ! Mard oh a bep bro forbanet, Deit de diér er Vretoned ! »
Mais ma préférence va à ce merveilleux conte de sainte Brigitte, sans doute moins « normalisé » par l’écriture du clergé que les autres cantiques. Sainte Brigitte, qui n’a ni bras ni œil, mais qui vient assister Marie. Et lorsque celle-ci pose l’enfant dans le giron de Brigitte, celle-ci recouvre des bras et la vue ! Sous la forme du conte et du merveilleux, n’y a-t-il pas là un enseignement profond : qu’avons-nous pour reconnaître et recevoir celui qui naît dans la nuit de Noël ? Et cependant « le texte ne nous dit-il pas : Un enfant nous est né ; un fils nous est donné’ ? Il est nôtre, tout à fait nôtre, nôtre plus que tout autre bien. Il naît à chaque instant et sans cesse en nous » (Jean Tauler – XIVe siècle).
Frère Olivier Riaudel
Rennes le 16 février 2008